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Votre enfant est très laid : que faire ?
(marche aussi s'il est très beau)
Coller au réel et relativiser la chose : les deux mamelles de la sagesse rétrofuturiste.
« Ce qui compte mon chat, c’est la beauté intérieure ! »
Ok, ok… cut the crap, comme disent nos amis anglo-saxons – et comme le hurle le regard de ma fille, si je m’amuse à lui dire ça. Elle est en CP, mais elle a déjà bien compris le game.
Donc, pas d’hypocrisie, ni de mensonge : il serait vain de relativiser l’importance de la beauté. La chose est absolument cruciale et nombre d’études l’ont démontré ; une personne jugée belle sera aussi jugée plus convaincante qu’une autre, et ses interlocuteurs présupposeront qu’elle dispose d’un QI supérieur. Pratique.
Cela, non seulement vos enfants – beaux ou laids – devront le savoir, mais ils devront savoir jouer avec cette vérité – même cruelle.
Ceci n’empêche nullement d’apprendre à vos gosses à moduler la fierté qu’ils associeront au fait d’être beau – ou la honte qu’ils associeront au fait d’être vilain. La beauté est une grâce – par définition, offerte ; on n’a conséquemment aucun mérite à en disposer. Il n’y a nulle fierté particulière à éprouver parce que l’on dispose d’un petit nez ou d’une énorme paire de meules : cela n’a demandé aucun effort, absolument aucune volonté. Les seules qualités dont on peut légitimement se targuer, vos enfants doivent le comprendre aussi vite que possible, sont celles pour lesquelles on a dû lutter contre soi-même : gentillesse, courage ou sagesse. Cela leur évitera de devenir vedette de téléréalité aussi bien que militant communiste.
A cette lumière, il reste de la responsabilité personnelle de se façonner un fessier de sauteuse en longueur, ou des triceps de gymnaste spécialiste des anneaux ; c’est donc admirable. Le corps se sculpte, aussi. Insistez sur ce que vos enfants peuvent changer, et dont ils pourraient dès lors tirer une légitime fierté.
En somme, encouragez-les à faire pompes, squats et kilomètres à vélo, au lieu de fanfaronner.
Vous remarquerez au passage que, paradoxalement, les personnes qui pourraient être les plus fières du corps qu’elles ont bâti sont parfois les plus modestes sur le sujet (les danseuses classiques, par exemple). Outre la bonne éducation, on peut imaginer que l’effort mis dans la pratique pour parvenir à l’excellence leur a mis du plomb dans la tête, et désincite à toute fanfaronnade.
Mon enfant aborde le sujet, que dire ?
En ces matières, l’idéal serait sans doute de ne jamais évoquer le sujet, jusqu’au tombeau : c’est l’ancienne mode. La vie toutefois étant ce qu’elle est, il n’est pas exclu que votre enfant dérive dans une mauvaise direction, que soit spontanément ou à cause d’une personne mal intentionné qui lui fait croire qu’il est affreux (ou, à l’inverse, à cause d’un(e) camarade qui répète à l’envi que votre rejeton est exagérément sublime : le cas fréquent de la laideron qui gagne l’amitié de sa BFF en lui disant H24 qu’elle est “ trop belle”).
Bref, il vous faudra parfois intervenir. Mais dans ce cas, que dire ?
Le classique « On ne juge pas un chocolat à son emballage » n’est jamais inutile, mais ne dira pas tout. Il s’agira, comme en bien des matières, de coller, le plus possible, au réel. Ramener, délicatement, vers la Vérité. Puis laisser votre enfant en tirer les conséquences.
Si, comme la mienne, votre fille est convaincue d’être Emilie Ratjkowski alors qu’elle est plus simplement mignonne, l’urgence sera de ramener sa conscience d’elle-même vers la réalité objective. En gros : t’as 6 ans, t’es jolie, mais on va pas s’en relever la nuit, non plus.
L’objectif n’est nullement de l’humilier en la faisant chuter de son dangereux piédestal, mais de subtilement lui épargner une gamelle plus tardive, et plus douloureuse. Puis de l’amener à raisonner sur ses qualités réelles.
« Ma chérie, tu sais quand même que les gens t’adorent parce que tu es gentille et généreuse avec eux, et non parce que tu serais jolie, ce dont ils se contrefichent ? Gardes-en une claire conscience. »
Et, bien sûr, dans la situation inverse on symétrisera la chose. Si, comme le mien, votre fils se juge quelconque alors qu’il a reçu la grâce d’un charme troublant, votre objectif devra être, là encore, de corriger sa fausse perception de lui-même – cette fois de manière méliorative, de sorte qu’il sache précisément ce qu’il en est.
Si votre fils ressemble à Paolo Maldini et qu’il se trouve affreux, rassurez-le :
une fois passée l’adolescence, ça devrait chopper dur.
A retenir au passage, dans l’hypothèse où ce serait votre fille qui se trouverait moins belle que ce qu’elle n’est, l’argument fatal pour la rassurer : ce sont les femmes qui choisissent les hommes, et pas l’inverse. Meilleure preuve : dans l’histoire de l’humanité, les études génétiques le montrent, la sélection biologique a été réalisée pour l’essentiel par les femmes (qui toutes à peu près se sont reproduites, à l’inverse de millions d’hommes restés sans descendance).
Plus fun à observer ces expériences réalisées sur les campus américains, qui répliquent celle d’Elaine Hatfield dans les années 70 : si un quidam masculin d’une vingtaine d’années se présente à des filles inconnues et leur demande si elles voudraient aller coucher avec lui, sur le champ, aucune n’accepte. Mais si une fille propose la même chose aux étudiants mâles, la plupart d’entre eux sont partants, sans problème. Girls power.
Comment le dire ?
Vous savez maintenant que dire, reste désormais à trouver les arguments qui portent.
Pas cons, vos enfants présupposeront en effet (et à juste titre) que leurs parents vont naturellement leur mentir (ne serait-ce que par fierté pour le génome que les géniteurs ont conçu). Ils s’attendront à ce que le message soit systématiquement biaisé dans un sens mélioratif, si leurs parents sont sains d’esprit, et dans un objectif d’humiliation sadiques, si leurs parents sont des psychopathes (cas fréquent : la mère est une ancienne beauté, désormais fanée).
Les élucubrations parentales leur paraîtront plus particulèrement vaines si la mère répète à l’envie, et à l’encan, que sa fille est sublime, ou que son fils va faire craquer toutes les filles (alors qu’à quinze ans il est toujours puceau d’en haut). Non seulement ces prises de parole, après un temps, ne consolent plus, mais elles vrillent l’esprit de l’enfant.
Votre responsabilité paternelle, dans ce cas, sera éminente. La bonne stratégie sera, bien souvent, d’abord de faire taire maman si elle insiste sur le registre de la mère juive, puis de mobiliser la figure archétypique du père – en particulier si l’enfant doute de lui-même. Le paternel, instance éternelle de neutralité, d’honnêteté et d’équanimité, devra alors intervenir à l’instant le plus juste, et avec l’économie de mot la plus sobre possible. Il s’agit, qu’une fois énoncés, ces mots restent à tout jamais dans l’esprit de votre enfant – perpétuellement disponibles, en cas de coup dur narcissique.
Toute répétition non seulement diluerait le message, mais risquerait de le corrompre (car l’enfant se mettra alors à douter, à nouveau, de la sincérité de celui qui l’émet).
Vous savez ce qu’il vous reste à faire.