Nullement un modèle, mais une inspiration malgré tout : malgré...
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Saviez-vous que votre famille est l’ennemie de la société moderne ?
Et votre amour pour votre femme et vos enfants pourrait même vous placer aux côtés d’un des plus célèbres terroristes du XXème siècle…
Peut-être l’avez-vous noté : quand les hommes politiques et leurs interlocuteurs journalistes mobilisent la notion de famille, c’est toujours avec une habile prudence, voire même, une certaine gêne.
Il n’est qu’à voir les productions télévisuelles : lorsqu’elles évoquent la famille classique, c’est pour en proposer une caricature éculée, avec une dizaine de gosses, tous blonds, les gamins en chaussures bateau et les filles en robe col claudine. Ensuite, on ricane.
Sans parler, évidemment, des réseaux sociaux, où la tendance « No kids » est vantée à longueur de tweets…
Bref, quelque chose, avec la famille, ne va pas ; on le sent bien, et si on la présente malgré tout sous un angle positif, alors elle devra être “recomposée”, évidemment.
Mais pourquoi donc une telle méfiance pour une entité qui, après tout, existe depuis la nuit des temps historiques ?
Intuitivement, on pourrait s’imaginer que cette défiance renvoie à Vichy, et à sa devise : “ Travail, Famille, Patrie ”. Ce serait la faute à Pétain, à qui l’on associerait inconsciemment l’idée de famille, corrompue à tout jamais…
En réalité, la chose remonte beaucoup plus loin. La haine est plus profonde. Il s’agit, au fond, d’une concurrence pour la maîtrise des âmes.
Pour mieux le comprendre, écoutons l’opinion d’un des plus célèbres terroristes de tous les temps. Préparez les bâtons dynamite et buckle up.
L’homme domestiqué
La vie que nous vivons, Theodore Kaczynski l’avait en horreur. Pour lui, nous sommes des moutons : des animaux à la fois trop domestiques et trop grégaires pour être respectables. Plus connu sous le nom d’Unabomber (désigné ainsi par le FBI car ses attaques à la bombe ciblaient les universités et les aéroports), Kaczynski multiplie les attentats de 1978 à 1996 sans se faire prendre, et tout en faisant connaître ses opinions. Insaisissable, il parvient non seulement à berner le FBI, mais à faire publier ses pensées par le Washington post. Kaczynski fera l’objet de la chasse à l’homme la plus coûteuse de l’histoire des Etats-Unis.
17 années durant, ses actions violentes lui servent à mettre en lumière son manifeste d’écologie radicale anti-modernité, qui depuis a fait florès (notamment auprès des incels et autres antisociaux). Vous pourrez, au besoin, en trouver un exemplaire ici.
C’est au demeurant ce manifeste qui le perdra : l’analyse lexicographique du manuscrit met le FBI sur sa piste, et le frère de Kaczynski confirme : il y reconnaît les idées tordues de son frangin Ted.
Ce dernier sera finalement localisé, dans les confins des forêts du Montana. Il passera ensuite 27 ans en prison, avant de s’y suicider, en 2023.
Je dois à l’honnêteté de dire que les écrits de Kaczynski ne m’ont jamais totalement convaincu. Il fait toutefois peu de doute que le type avait du bulbe et qu’il n’est pas vain de s’intéresser à sa doctrine, si l’on veut comprendre pourquoi la famille pose problème, de nos jours.
A dix ans, on teste son QI, qui s’établit à 167 (un niveau d’intelligence que l’on n’observe que chez une personne sur un million, pour situer la chose). L’étrange gamin saute plusieurs classes, au collège et au lycée, puis enchaîne avec des études à l’université de Harvard où il se fait vaguement torturer, dans le cadre du projet MK-Ultra de la CIA. Quelques années en enfer plus tard, il décroche le titre de docteur en mathématiques et entame une carrière dans la recherche académique à la très gauchisante Université de Berkeley. Mais peu après, Ted décide soudain de tout plaquer, et part vivre dans le Montana. Nous sommes à la fin des années 70. Seul dans les bois, il se construit une cabane, et apprend à fabriquer des explosifs artisanaux.
Il est toujours délicat de considérer sérieusement les écrits d’une personne qui a envoyé des colis piégés à des universitaires et des publicitaires (quoique…) mais, en expurgeant la tentation du meurtres de masse, la lecture de Kaczynski n’en est pas moins édifiante. On y reconnaît notamment la marque de Jacques Ellul et de Lewis Mumford, ses principales influences en matière d’anthropologie. Plutôt du beau monde.
Pour la faire brève, Kaczynski déteste l’époque moderne à cause de ce qu’il appelle l’hypersocialisation, et que nous pourrions traduire par “ préférence systématique pour les macro-sociabilités ”. Dans le monde moderne, lorsque vous interagissez avec une personne, celle-ci ne se présente pas tant pour elle-même que pour représenter un ensemble plus large (une entreprise multinationale, un service public…) pour le compte duquel elle agit, et qu’elle incarne anonymement.
Le cas typique est celui du guichet d’une administration : l’être humain qui vous reçoit n’est pas censé vous connaître – et n’en a d’ailleurs aucune envie. Il n’est, comme vous, qu’un rouage du grand Tout, une pièce indifférenciée, censée tourner à la bonne vitesse le temps du process bureaucratique.
A l’inverse, dans les sociétés pré-modernes, les micro-sociabilités dominaient et les relations étaient personnelles : les interactions sociales concernaient très majoritairement les membres d’un même village, voire d’une même famille.
Le moyen-âge : l’âge d’or des relations communautaires
Rendons la chose moins abstraite. Imaginons que vous soyez un quidam né au moyen-âge. Vos relations sociales concernent, pour leur immense majorité, des personnes de votre famille, de votre paroisse ou de votre guilde. Aucune des personnes avec qui vous interagissez n’est anonyme, et aucune n’est interchangeable. Les personnes comptent pour ce qu’elles sont.
Que vous soyez destiné à être paysan ou artisan, le plus probable sera que vous travaillerez, dès votre plus jeune âge, au service de votre famille, à laquelle se résumera votre univers.
Ni l’Etat royal, ni votre seigneur, n’auront rien à faire, ou à dire, dans tout cela. Une fois sur sa terre ou dans sa maison, c’est la seule loi du pater familias qui s’appliquera (aucun émissaire du roi n’aurait l’idée saugrenue de venir l’emmerder avec des diagnostic DPE ou lui expliquer comment élever ses gosses).
Votre mariage, puis la mort de vos parents, définiront votre capital économique. Vos biens iront ensuite à vos enfants. Et non, vous n’aurez pas idée de “ prendre du bon temps ” ou de “ profiter de votre patrimoine pour vous recentrer sur vous-même ”.
Tout tourne autour de votre famille.
La modernité : le Mordor
La modernité vient mettre un grand coup de pied dans ce réseau de relations sociales étroites. Le capitalisme a besoin de bras sans compétences ni habileté particulières, pour ses usines. Ces monstres de métal ouvrent puis ferment, d’une ville à l’autre – à l’exode rural s’ensuit le mouvement de masse entre les cités-dortoirs.
Les villes : des lieux si grands que l’on ne peut y connaître tout le monde. On y découvre l’anonymat, mais aussi la solitude radicale : celle éprouvée au milieu des autres, indifférents à votre existence comme à votre mort.
Outre le capitalisme, l’Etat également entend prospérer. Alors qu’il se limitait à l’armée du Roi et à quelques juges dans les temps anciens, voilà qu’il se découvre fondement de la Nation, s’immisce partout – jusqu’au délire totalitaire des dystopies fascistes et communistes.
Une à une, les solidarités locales sont remplacées par des solidarités globalisantes : assurances capitalistes ou sécurité sociale étatisée. Quand vous avez une difficulté, au lieu d’espérer l’aide d’une communauté que vous connaissez bien (et qui vous connaît… et juge en retour de l’aide à laquelle vous aurez droit), vous vous présentez à un guichet, où une personne anonyme vous reçoit. Vos jérémiades et explications ne l’intéressent pas : “ Monsieur, ou madame, veuillez remplir ce formulaire ”. Le CERFA est à suivre.
De même que la fabrication en série a remplacé par un Scénic identique à des milliers d’autres la voiture unique que vous faisiez dessiner par votre carrossier préféré, les relations humaines sont devenues homogènes et standardisées. Les individus que vous croisez doivent pareillement être interchangeables ; il n’est pas question que le moindre salarié, le moindre citoyen soit irremplaçable ! Le cœur battant de la vie sociale est désormais un piston, un vérin, une froide machine.
La famille : l’ennemie
Dans ce contexte, dans ce mouvement, la famille gêne. Elle entrave la mobilité géographique des travailleurs. Elle édicte ses propres règles de vivre-ensemble. Elle concurrence la solidarité nationale, incarnée par l’Etat.
Or, si l’on n’avait pas besoin de lui, l’Etat deviendrait, par définition, surnuméraire. Superflu. Et comme toute bureaucratie, il entend vivre, se développer, croître ! et non admettre qu’il est parfois de trop.
A nouveau, illustrons, incarnons. Vous naissez début du XXIème. Vous êtes toujours le même même quidam. Quelle sera, désormais, votre vie ?
Dans le scénario idéal (du point de vue de la société contemporaine), vous naissez suite à la fornication de vos deux parents (nous évacuons arbitrairement l’hypothèse d’un trouple) et ceux-ci vous élèvent ensuite ensemble, un temps. Puis ils se séparent, pour mieux s’épanouir ailleurs.
La garde alternée se passe bien, toutefois, ainsi que votre parcours scolaire – marqué par votre docilité et votre capacité à obéir, apprendre, puis réciter.
Vous habitez en ville et fréquentez un collège puis un lycée dans lesquels vous nouez des amitiés formidables, mais ponctuelles : les établissements sont grands, populeux ; les gens vont et viennent. Dans votre quartier, vous ne connaissez personnellement personne, à part l’enthousiaste vendeur de l’épicerie arabe.
Vous faîtes une classe préparatoire, puis des études de troisième cycle. L’esprit libéré des anciens diktats de l’Eglise, absurdes et rétrogrades, vous pouvez utilement vous concentrer sur le catéchisme ESG.
Ces études vous permettent de quitter le lieu de résidence familial, pour prendre un petit studio, grâce au CROUS. Une personne que vous n’avez jamais vue, sans que cela ne vous surprenne le moins du monde, vous alloue un logement.
Vous trouvez ensuite un premier travail, indifféremment dans la haute administration publique (Ademe, DARES, ministère des finances…), dans une association subventionnée (France Terre d’Asile, Action contre la faim…), ou au service d’un grand groupe, pour lequel vous brillez dans des fonctions relatives à la communication ou au droit européen.
On vous envoie bientôt, pour votre carrière, dans une autre métropole, où vous nouez des amitiés nouvelles qui s’éteignent à leur tour, tandis que d’autres naissent, avec vos promotions et déménagements. Tous les 3 ans environ, on attend de vous que vous changiez de poste. Vos collègues défilent trop vite pour que vous puissiez prendre note de qui ils sont en réalité.
Vous vous mettez en couple, puis vous vous séparez. Vous procréez, puis vous vous séparez à nouveau. Vous faites de nouvelles connaissances, à la crèche, ou à l’école du quartier – bien vite interchangées.
L’essentiel de vos interactions se fait désormais avec des collègues ponctuels ou avec les personnes que l’on vous alloue, aux guichets des administrations ou au front office de quelques méga-corporations capitalistes.
Vous voyez vos parents, de loin en loin, pour les vacances. Vos liens peu à peu se sont distendus. Vous ne voyez plus votre sœur – et encore moins vos cousins, oncles et tantes. Votre grand-mère meurt, seule, dans un EPHAD.
La crèche, puis l’école, s’occupent de vos enfants – que vous voyez assez peu, car vous travaillez beaucoup.
Tout va bien.
Mais pour Kaczynski, vous êtes déjà en enfer.
Votre cas, pourtant, aurait pu être moins favorable. Il n’en serait pas moins typique. Enfant d’une fille-mère, vous enchaînez : enfance en ville, adolescence à problèmes, consommation de weed, puis allocations en tous genres – fournies par la machine. Reproduction éventuelle, puis vie en HLM.
Votre principal interlocuteur : le monstre froid de l’Etat, et ses mille visages.
La famille ? Un concept abstrait pour vous, depuis toujours, et un vague objet de jalousie, et de haine.
Cette vie, Ted Kaczynski l’avait en horreur. Alors que la modernité prétendait orgueilleusement libérer l’individu des entraves de la famille, de la communauté ou de l’Eglise, cet anarchiste radical estimait, au contraire, qu’elle l’aliénait tout à la fois de sa nature d’être humain, et de son identité singulière.
Non seulement les règles de la vie en hypersocialisation sont plus étouffantes que celles de la vie en microsociété, empêchant l’individu d’être lui-même, mais l’être humain est naturellement incompatible avec une telle programmation, estime Kaczynski. Il s’agira donc, pour l’Etat, dans un premier temps d’essayer de modifier l’Homme par la propagande, et dans un second, d’envisager son dépassement, par la science. L’objectif : créer une espèce d’individus atomisés qui seront, tels des fourmis, compatibles avec un plan prédéfini et autoritaire.
Kaczynski avait entrevu le transhumanisme et ses monstruosités.
La solidarité rétro-futuriste est une micro-sociabilité.
Concluons : vous êtes un mouton.
Revenons à notre introduction. Ces accumulations de vannes sur la famille, à la télé, à la radio… ces arguments troubles ou embarrassés, par les hommes politiques… Tout cela masque le fait que la famille n’est pas tant une source de malheur qu’une source de concurrence, pour l’époque.
Alors, de même qu’on insiste, dans les médias, pour associer église et pédophilie (alors que le taux de crime contre les enfants y est inférieur à ce que l’on observe dans les autres institutions recevant des gosses), on présente la famille sous un jour toujours sombre. Le malheur induit par les familles est exagéré, pour mieux masquer le fait que la famille est un agrégat sociologique hostile à la nouvelle société.
La conséquence de tout ça, pour vous ? me demanderez-vous.
Cela dépend de vos ambitions. Si, en tant que père, vous voulez vous contenter de perpétuer notre post-espèce, avant de relâcher votre enfant dans la post-nature, votre ambition de père sera jugée acceptable (vous pourrez même obtenir quelques subsides, ou dégrèvement d’impôts).
Mais si votre espoir est de former une entité humaine pérenne et automne, ayez conscience que vous êtes, de facto, un ennemi de la modernité, un adversaire de l’Epoque.
Alors, montez votre garde, et préparez-vous à frapper.
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